BASTIA - "Aidons les handicapés à défendre leur vie" (JDC - 20 au 24 mars 2017 par Jean-Noël COLONNA) (25/03/2017)

Pierre-Louis Alessandri est journaliste, mais il a aussi une âme de militant chevillée auPLA.jpg

corps. Il appartient au syndicat national des journalistes, mais depuis près de 20 ans, il s'est mis au service de l'APF (Association des Paralysés de France).

Délégué départemental pour la Haute-Corse, il en est devenu, depuis quelques mois, le responsable régional. C'est après l'accident de voiture, suivi d’un lourd handicap, dont a été victime son épouse qu'il s'engage à l'APF. Aujourd'hui, grâce aux combats de l'Association, beaucoup de choses ont avancé, mais le chemin est encore long pour les 7 000 handicapés de l'Ile dont beaucoup ont subi des atteintes graves.

La semaine qui vient de s'écouler a été consacrée au niveau national aux personnes handicapées. L'heure est au bilan.

JDC.jpgÊtes-vous satisfait de cette semaine ?

Je dirais plutôt oui , mais j'ai toujours l'impression qu'on pourrait mieux faire. Cependant il nous faut remercier la presse qui nous a consacré des espaces importants, comme vous, ce qui permet d'amplifier notre écho de mieux faire connaitre notre association, nos actions, nos projets.

A Bastia, nous avons porté notre parole en milieu scolaire. Nous avons été accueillis à l'Ecole Ange Defendini de Lupino et, pendant plus d'une heure, nous avons dialogué avec les élèves. Il est nécessaire que les enfants soient mis en perspective avec des personnes handicapées, parlent, enregistrent les témoignages. L'apprentissage de la citoyenneté commence à l'école comme l'accueil de l'autre, de celui qui est différent.

Le projet associatif de l'APF a choisi de promouvoir une société inclusive. La loi du 11 février 2005 oblige à la scolarisation des enfants handicapés dans les établissements ordinaires. C'est ainsi que les écoliers valides et invalides apprennent à vivre ensemble sans exclusion. C'est un progrès énorme, car les adultes ont parfois peur de l'image du handicapé comme on à peur de celui qui est différent, de l'immigré. La loi de 2005 est hautement symbolique.

Qu'a-t-elle apporté alors aux personnes handicapées ?

Plus de moyens (même s'ils restent insuffisants car on vient de loin),et une certaine liberté. L'initiative donnée aux handicapés de choisir leur vie, de l'organiser. Ne pas laisser aux seuls médecins ou spécialistes de décider à leur place. Créer à travers les MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapée) une décision collective avec les acteurs sociaux et la personne handicapées pour le meilleur des bénéfices. La loi de 2005 a créé le droit à la compensation du handicap, qui se décline par des aides humaines et des aides techniques. Désormais les aides sortent de la philosophie du charitable pour entrer dans celle de la promotion sociale, celle du droit. La personne handicapée ne vit plus de la charité nationale paternaliste, mais de la solidarité nationale porteuse d'équité, de justice et de dignité. Hélas ! Les gouvernements successifs de droite et de gauche se sont empressés de détricoter cette loi.

Et en Corse ?

En Corse la situation reste encore préoccupante dans de nombreux domaines. La loi de 2005 a permis d'avancer, mais ici tout est plus compliqué. La Corse est une ile, donc difficile d'accès. C'est aussi un archipel intérieur et les communications y sont difficiles pour les valides. Alors imaginez-vous pour les non valides ! La loi de 2005 faisait obligation à tous les ERP (établissements recevant du public) d'êtres accessibles et adaptés au 1er janvier 2015. Il n'en a rien été. Parmi ces établissements, il y a les cabinets médicaux paramédicaux et les établissements hospitaliers. D'autant que le Gouvernement a autorisé des dérogations, y compris pour les administrations, et retardé ainsi les dates d'obligation d'adaptation. Certes, les établissements doivent déposer en préfecture des AAP (agendas d'accessibilité programmée) qui prévoient la réalisation des travaux dans un délai déterminé, mais pour l'instant, nous attendons d'en connaître la liste pour la Corse.

Nos transports en commun sont peu ou pas adaptés, ni accessibles, train ou transports routiers. En outre les handicapés, vivant dans l'intérieur, demeurent dans une situation d'enclavement. Les intercommunalités, qui ont compétence et obligation d'organiser le transport adapté, trainent des pieds. Seules, la CAPA et la CAB mettent à disposition des solutions de substitution, mais la mise en oeuvre des schémas d'aménagement et d'adaptation des transports collectifs qui nous ont été présentés en commissions intercommunales d'accessibilité se font attendre. Ainsi, les personnes handicapées motrices ne peuvent bénéficier pleinement de leur liberté de circulation. Et je ne vous parle pas de l'occupation du domaine public dans les villes par certains commerçants, en particulier restaurateurs et cafetiers, qui réduisent encore l'espace circulable. Chaque été, c'est un véritable cauchemar. Tout cela est une forme d'exclusion !

A vous entendre, c'est plutôt négatif ?

Il serait malhonnête de dire que rien ne se fait. L'APF travaille avec les collectivités territoriales, les structures publiques comme les CCI. Ça a permis par exemple à l'aéroport de Poretta d'installer un "help" qui favorise un meilleur embarquement des personnes en fauteuil. Nous allons rencontrer les responsables de la CCI d'Ajaccio qui nous ont fait des propositions dans le même sens. Nous avons contribué à faire voter des programmes municipaux pour l'accessibilité et la mise aux normes des villes, de créer plus de places de stationnement réservées, de plages adaptées avec des systèmes de fauteuils spéciaux pour se baigner. L'APF travaille aussi à la création d'équipes relais dans l'intérieur. La personne handicapée défend sa vie ! Nous ne demandons pas des privilèges, mais l'application du droit. Nous vivons aujourd'hui plus qu'hier une société du paraître « clean » et élégant, le handicap est donc difficile à intégrer dans cette image.

Quels sont les moyens d'action de l'APF ?

Avant tout la volonté et l'énergie de ses bénévoles. L'APF vit de l'argent de ses donateurs, souvent à faibles revenus. Nous bénéficions aussi de quelques subventions. Mais l'APF, reconnue d'utilité publique depuis 1933, vieille association donc, a forgé en son sein un réseau de solidarités, de compétences, de complémentarités entre ses milliers de bénévoles et ses 14 000 salariés.

En Corse depuis septembre 2016, l'APF s'est réorganisée pour plus d'efficacité. Les deux directions départementales se sont fondues en une direction territoriale et un directeur des actions associatives a été nommé. Cela était indispensable pour l'accomplissement de nos missions. Le « pouvoir politique associatif » avait besoin d'une logistique solide pour la réalisation de son projet associatif et de sa déclinaison en Corse. Cependant l'action de l'APF part de la proximité, le département reste le point d'ancrage de notre travail. Il existe donc deux conseils départementaux et un conseil APF de région dont je suis le représentant. En Corse l'APF, c'est aussi deux établissements pour enfants et adultes installés à Ajaccio : « A Casarella » et « l'Albizzia » et deux services d'accompagnement à la vie sociale. Avec ses 187 salariés, l'APF constitue dans l'Ile un acteur économique non négligeable. Mais, je le répète, tout ça n'existerait pas sans le courage, la volonté, le dynamisme des adhérents et bénévoles qui, depuis plus de 50 ans, ont construit ce tissu solidaire. Une association n'existe que grâce à la force de ses adhérents, à la disponibilité de ses bénévoles qui sont, en quelques sorte, les actionnaires d'un projet collectif, et dont la maïeutique engendre tout le reste qui contribue ensuite à l'enrichissement de l'ensemble.

En conclusion, ce qui est important, c'est d'oeuvrer pour redonner leur citoyenneté à ceux qui l'on perdue à cause d'une atteinte corporelle. Notre combat, c'est de défendre une vie digne pour ceux qui ont perdu une partie de leur liberté physique, avec des ressources suffisantes (les allocations pour les handicapés se situent en dessous du seuil de pauvreté), et pouvoir accéder dans toute sa plénitude à la Cité au sens grec du terme. Il faut donc aussi travailler sur les mentalités. Il ne suffit pas d'être généreux, il faut savoir aussi respecter, par exemple, une place qui sert aux handicapés. Moi je n'aime pas ce slogan que je trouve ici ou là : « si tu prends ma place, prends mon handicap ». Je préfère celui de l'APF : « une place vide n'est pas obligatoirement une place libre ». Il faut éduquer.

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